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com-sensorielle
24 octobre 2007

L'argent n'a pas d'odeur, dit-on. Mais qu'en est-il de la publicité ?

Une nouvelle science, l'aromatologie, cherche à déterminer les effets des odeurs sur les comportements humains. Les odeurs auraient, selon ces études, un impact possible sur les états physique et mental de l'homme. Mais ces dernières sont aussi un moyen de communication privilégié : choisie pour son originalité et sa spécificité, toute essence sert de marque identitaire, d'élément de différenciation important. Marie-Claude Vettraino-Soulard, dans sa présentation de l'aromatologie, signale qu'«aucun autre type de communication ne véhicule autant de valeur émotionnelle. L'expérience montre, en effet, que la perception olfactive constitue probablement la sensation humaine la plus subjective».

Après avoir visité les différentes catégories de produits pouvant faire appel à une représentation des odeurs, nous verrons quels autres moyens peuvent être mis en place pour leur publicité. La représentation d’une odeur, si elle peut passer par l’image, peut en effet être plus subtilement suggérée par une esthétisation particulière de l’image, fréquente dans les publicités pour parfums de luxe.
Enfin, dans un troisième volet, nous verrons d'autres stratégies marketing qui se présentent comme des alternatives à la difficile «représentation» des odeurs dans les médias traditionnels. Leur représentation dans le discours publicitaire peut être suppléée par leur transfert à travers le média lui-même. D’autres supports que les médias traditionnels sont à disposition du publicitaire et permettent de véhiculer concrètement les odeurs.

Petit tout d'horizon des odeurs

Absentes de la radio, rares dans la presse et l'affichage, c'est essentiellement dans la publicité télévisuelle que l'on évoque les odeurs. Et si la télévision et le cinéma se font les champions de leurs représentations, la présence de publicités de ce type reste cependant relativement exceptionnelle. Cet état de fait est d'autant plus frappant que les parfumeurs sont des annonceurs fidèles et fréquents (si on y inclut les produits de beauté et de soins du corps). Ceci s’explique par le fait que l'olfactif est l'un des trois sens (avec le toucher et le goût) que les médias ne véhiculent pas. De l’affichage à la télévision, les deux sens monopolisés sont toujours la vision et l’ouïe. L'olfactif doit ainsi passer soit par l'image (presse et télévision), soit par l'image et le son (télévision).

Quels sont les produits qui parlent, ou pourraient parler, des odeurs ? Une tentation pourrait être de restreindre les odeurs aux bonnes odeurs, en oubliant leurs pendants antithétiques, les mauvaises odeurs. En espérant ne rien oublier, on pourrait grossièrement classer ces produits en cinq catégories :

    1. Cuisine, alimentation
    2. Produits de nettoyage, lessives, dentifrices
    3. Sprays rafraîchissants et diffuseurs
    4. Déodorants et parfums bon marché, produits de douche
    5. Parfums haut de gamme

Les deux premières catégories possèdent de nombreux attributs dont l'odeur agréable ne constitue qu'une qualité parmi d'autres, parfois accessoire. Au contraire, les trois autres catégories ont souvent comme moteur de vente leur douce fragrance.

Cela dit, même si un produit est en rapport direct avec une odeur, ce qui est toujours le cas d'un parfum, rien ne l'oblige à communiquer sur cette dernière. Outre la difficulté de représenter les odeurs par l'image ou par le son, une autre raison explique la présence relativement exceptionnelle des odeurs. Nous avons, jusqu'ici, passé sous silence une difficulté que rencontre tout publicitaire face aux odeurs : avant d'être nettoyé, le linge empeste… Sous-entendre des mauvaises odeurs ne peut-il pas être préjudiciable au message publicitaire et, finalement, au produit lui-même ? Comme le signalaient les animateurs de Culture Pub, l'une des principales difficultés de la publicité est celle de devoir systématiquement parler d'un monde positivé et euphorique. Dès lors, lorsque les bonnes odeurs suggèrent les mauvaises, les publicitaires doivent s'entourer d'artifices pour ne pas évoquer de manière trop incisive ces odeurs désagréables, au risque de les graver définitivement dans la mémoire du consommateur.

L'odeur d'un petit plat

Les publicités pour la cuisine et l'alimentation (1) peuvent tenir un discours euphorique sur les odeurs, sans encourir le risque de contaminer ce dernier par l'évocation d'émanations désagréables. Toujours selon Marie-Claude Vettraino-Soulard, «les odeurs alimentaires jouent le rôle d'additif (à la couleur et à la substance du produit) ou de substitut (odeurs chimiques «remplaçant» les senteurs naturelles disparues)».

Les publicités de cette catégorie peuvent se concentrer sur le fumet que dégage leur produit (on "hume la soupe"). L'olfactif, lorsqu'il est représenté dans cette catégorie, précède ou suggère le gustatif, mais reste une caractéristique accessoire.

Lave plus bon que bon…

Les publicités pour les détergents, les produits nettoyants et l'hygiène corporelle (2) sont les champions des bonnes odeurs. Selon les spécialistes, ce qui fait vendre ces produits, c'est d'abord leur odeur, bien avant la preuve de leur efficacité ou leur prix compétitif (Vif).

L'odeur a, pour cette catégorie de produits, une valeur certes primordiale, mais annexe en regard de l'ensemble des qualités du produit (agent vivifiant, agent nettoyant, agent désinfectant, agent adoucissant, etc.).
À l'assaut de la puanteur
Le paradoxe de la communication publicitaire, qui réside à éclipser les mauvaises odeurs, se complexifie lorsque la publicité est confrontée aux produits dont le moteur de vente est l'odeur qu'elle diffuse. Si la catégorie des sprays rafraîchissants et des diffuseurs (3) n'hésite pourtant pas à exploiter cette caractéristique, c'est qu'elle peut difficilement communiquer sur autre chose. Elle évoque dès lors le pouvoir régénérateur de ces odeurs, en articulant des paires antithétiques comme nature vs pollution, fraîcheur vs lourdeur, etc.

Le déo du matin

La catégorie des déodorants et des parfums bon marché (4) fait moins fréquemment référence aux odeurs, sans toutefois y renoncer. On tente souvent de communiquer plutôt sur les effets de ces odeurs. Les exemples d'Impulse — où une femme se fait offrir des fleurs — ou d'Axe — où une femme se fait aborder par d'autres femmes après avoir mis le parfum de son amant — sont révélateurs de ce type de stratégie publicitaire.

Longtemps, la communication de cette catégorie de produits s'est cantonnée dans une reproduction d'une réalité idéalisée, euphorisée, hyperbolique, humoristique. La tendance actuelle semble pourtant aller dans le sens d'un renforcement de l'écart entre le produit et l'argumentaire de vente, à l'instar des parfums de luxe.

Le parfum du soir

Il y a deux mille ans, les Rois mages ont apporté leurs présents les plus précieux, dont l'encens et la myrrhe. Aujourd'hui, rien n'a changé. Deux gouttes de potion dans le cou, un soupçon de nectar dans l'alcôve des seins, et le parfum devient plus qu'une simple odeur. Il se mue en arme de séduction, en envoûtement des sens, en message discret au cœur… Plus qu'un paravent des odeurs corporelles, il est un acte civilisé de l'homme comme de la femme modernes. Il devient symbole, symbolique, voire phallique (Déclaration de Cartier).

Ce n'est donc pas le moindre des paradoxes si la dernière catégorie, celle des parfums haut de gamme (5), ne parle jamais, ou presque, d’odeurs. Les parfums de luxe, dont l'essence devrait être à la hauteur de leur prix prohibitif, s'élèvent au-delà de cette caractéristique bassement matérielle !

   

Ils fondent leur communication sur des valeurs comme la vie, la jeunesse éternelle (Lolita Lempicka pour homme), la beauté (Flower de Kenzo), la virilité (Kouros d'Yves Saint-Laurent), la sexualité (Déclaration de Cartier), la spiritualité (Mahora de Guerlain, Zen de Shiseido ou à l'opposé Hypnotic Poison de Dior), etc.

C'est l'esthétisation maximale qui prévaut dans ce type de communication publicitaire. On extrait le parfum du réel, et avec lui le spectateur-consommateur, pour les injecter dans un monde artificiel.

Les liens logiques, ennemis du luxe

En définitive, le constat est le suivant. Lorsque la caractéristique principale fait appel à un autre sens (le gustatif) ou à un autre agent (l'hygiène, la propreté, la désinfection), les odeurs sont fréquemment appelées à intervenir. Dans le cas où les odeurs ont une valeur accessoire ou auxiliaire, leur représentation passe alors, presque systématiquement, par l'image.

Mais lorsque ses essences sont capitales, elles sont paradoxalement remplacées, car non représentables, par d'autres valeurs, moins terre à terre, plus aériennes… Dans la communication des parfums de luxe, et, dans une moindre, mesure dans les deux autres catégories, la représentation de l'olfactif disparaît au profit de valeurs perçues comme plus nobles, que ce soit la séduction (Jean-Paul Gaultier, en allusion à Man Ray), la sexualité (Déclaration de Cartier), la nature (Land de Lacoste) etc. Ainsi, en passant de la première catégorie de produits (plats cuisinés) à la dernière catégorie (grands parfumeurs), le lien logique entre le produit et le message ne cesse de s’affaiblir.

S'affranchissant d'un univers de produit pour privilégier un univers de valeurs, les parfumeurs semblent se construire un territoire de marque spécifique, dans lequel ils pourront communiquer en toute sécurité.

Suggérer n’est pas montrer

Geneviève Cornu, sémiologue avertie, consacre un chapitre entier de son ouvrage Sémiologie de l'image dans la publicité aux parfums. Elle y souligne la difficulté de représenter visuellement et/ou de décrire par le langage le parfum, qui, par définition, fait appel à un autre type sensoriel: la perception olfactive.

Or, suivant les lois du phénomène appelé synesthésie, le "sentir bon" peut être traduit ou en tout cas suggéré, par le "être beau", d'où généralement une recherche esthétique dans la conception des publicités pour parfums: «Très fréquemment, on joue l'esthétisme pur […] : les sensations se répondent: il y a du visuel dans l'olfactif : un parfum sent bon lorsqu'il a une belle forme». Ainsi, les corps ou visages montrés sont toujours, selon nos codes culturels, de très beaux corps ou de très beaux visages.

Cette esthétisation est encore renforcée, à la télévision, par la bande sonore et la vitesse de l'image.

Une triple stratégie publicitaire

Pionnier de l'analyse du discours publicitaire, Roland Barthes rejoint d’une certaine manière cette mise en avant de l’esthétisation dans le discours des grands parfumeurs. Il considère en effet le langage publicitaire, et l’annonce dans son ensemble, comme une architecture de messages qui semble caractéristique des communications de masse. L’esthétisation du message, qui recourt aux mêmes stratégies discursives que la poésie, sert en particulier à «subtilement neutraliser le second», c’est-à-dire l’acte directif d’achat, achetez ! L’esthétisation du message permettrait ainsi de narcotiser la finalité dernière de la publicité, l'incitation à l'achat. Mais cette esthétisation va même plus loin, puisqu’elle imprègne simultanément le produit : «En touchant le produit par le langage publicitaire, les hommes lui donnent du sens et transforment ainsi son simple usage en expérience de l’esprit». On retrouve ici l’idée de territoire de marque : chacune d’elles doit se construire une image propre, qui passe aussi bien par les thèmes évoqués que par leur esthétisation particulière.

Pour résumer, l’esthétisation du message, qu’elle se réalise au niveau de la langue ou de l’image, sert triplement le message publicitaire : en même temps qu’elle lui donne des significations qui transcendent le produit, elle écarte du discours les mauvaises odeurs et, finalement, neutralise la finalité dernière de la publicité, l'injonction implicite d'achat.

«Je veux du concret, donnez-moi son parfum !»

Cela dit, la publicité classique n’est heureusement pas unique sur le champ de la communication d’entreprise. Si la PLV (Publicité sur le Lieu de Vente) comme la distribution d’échantillons en PSA (Publicité Sans Adresse) permettent, pour les parfums notamment, de suppléer à cette insuffisance, d’autres moyens ont également été mis en place pour satisfaire, parfois de manière originale, le client-roi.
Un exemple controversé a été fourni par une marque de lessive. Celle-ci avait eu l’idée originale d’embaumer des billets de train de sa propre essence. Si la tentative était louable, certaines personnes interrogées sur l’appréciation de cette démarche marketing se sont plaintes de la persistance de cette odeur dans leur sac à main ou dans leurs poches…
Un autre exemple, plus fréquent mais moins édifiant, est celui des courriers parfumés. Il s’agit de papier à lettre duquel émane l’odeur du parfum-annonceur. Une société a même, paraît-il, lancé une imprimante à odeurs : des algorithmes bien sentis permettraient d’«imprimer» sur papier (spécial) un composant chimique correspondant, idéalement, au parfum souhaité. Si l’envoi d’échantillons est plus onéreux, il a cependant plus d’impact et plus de sympathie auprès du consommateur.

La manipulation de notre nez

Les émanations synthétiques d'une boulangerie ou d'un fast-food n'ont rien de naturelles. Ces derniers ont aujourd'hui les moyens d'attirer le quidam par la diffusion automatique d'odeurs alléchantes de pain frais ou d'hamburger artificielles.
On pourrait cependant nourrir l'espoir que la nature a ses odeurs que la technique ne saura jamais égaler : une grande marque vaudrait-elle le baume d’une rose, une brise automnale ou le parfum de la neige dans la nuit hivernale ?

Gilles Lugrin
(article trouvé sur le web)

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